Pour ceux qui ne le savent pas encore, la Belgique est un pays singulier, coupé en deux depuis 1962 par une "frontière linguistique", est-ouest, quasi infranchissable pour les "mauvaises langues" !
En 1969, je me suis aventuré outre-Quiévrain pour y poursuivre des études vétérinaires difficiles d'accès en France. Si je les ai poursuivies, je ne les ai jamais rattrapées, puisque je suis devenu dentiste.
Lors de ma première année à l'Université de Bruxelles, je suis tombé fortuitement sur un ami avec qui j'avais fait une prépa véto l'année précédente. Cet ami avait la chance de posséder sa propre voiture. Nous ne connaissions la Belgique ni l'un, ni l'autre, si ce n'est à travers les chansons de Jacques Brel. Aussi, par un dimanche ensoleillé, nous avons décidé d'aller visiter Knokke-Le Zoute, dont le "grand Jacques" avait chanté les charmes.
J'avais repéré l'itinéraire sur une carte Michelin au 1/200.000e et constaté qu'il fallait quitter l'autoroute Bruxelles-Ostende à Aalter pour emprunter une nationale qui menait à cette station balnéaire réputée.
Assis à la "place du mort" (sans ceinture à l'époque), ma carte sur les genoux, je scrutais les sorties pour ne pas rater celle qui nous permettrait d'atteindre Knokke-Le Zoute. Quelques kilomètres après avoir quitté Bruxelles, se présente la première sortie balisée d'un panneau UITRIT. Par curiosité, je jette vaguement un œil sur la carte sans y trouver cette localité.
Arrivés à la deuxième sortie, même topo : panneau UITRIT. Nouvelle recherche infructueuse sur ma carte. Je commence donc à m'inquiéter. Qu'est-ce donc que cette ville desservie par deux sorties d'autoroute et qui ne figure pas sur la carte ?
A la troisième sortie, toujours marquée par ce foutu panneau UITRIT, je désespère et abandonne mes recherches.
Après avoir déambulé sur la digue de Knokke, en dégustant une gaufre (de Bruxelles) copieusement garnie de Chantilly qu'un vilain vent d'ouest tentait de nous envoyer sur le nez, nous avons repris le chemin de la capitale.
Trois mois plus tard, en déjeunant au resto U, je me trouve assis devant une porte vitrée donnant sur le stade. En travers de la porte une pancarte indiquait : SORTIE – UITGANG. Nous n'étions pas encore à la Pentecôte mais une petite langue de feu est venue éclairer mon esprit : "bon sang, mais c'est bien sûr", comme aurait dit le commissaire Bourrel, Uitrit est l'une des traductions du mot sortie, utilisée pour la signalisation routière. La ville d'Uitrit, tant recherchée, n'existait donc pas !
Cette mésaventure linguistique n'est hélas pas unique. Mes parents, qui étaient venus me rendre visite, décident pour une fois de rentrer en Normandie en faisant un crochet par les Ardennes belges. Ils empruntent donc l'autoroute Bruxelles-Liège. Malheureusement pour eux, cette autoroute traverse 6 fois cette fameuse frontière linguistique et tous les panneaux changent de langue, quelques fois pour 2 ou 3 kilomètres.
Arrivés à la première sortie, à hauteur de Louvain (Leuven), plus aucune pancarte pour Liège. Persuadés qu'ils avaient raté un embranchement, ils quittent l'autoroute pour se renseigner. Un quidam interrogé leur expliqua le "grand mystère linguistique belge" : en territoire flamand, Liège devient Luick ! Forts de cet acquis, ils reprirent leur route.
Si vous venez visiter Bruxelles (Brussel), sachez que pour retourner vers Paris ou Lille vous devez suivre les panneaux indiquant Parijs (c'est facile) ou Rijsel (c'est nettement moins évident). Le périphérique autour de Bruxelles étant exclusivement en territoire flamand, vous risquez de tourner longtemps avant de vous en sortir si vous n'êtes pas initiés.
Ces quelques anecdotes ne sont que la partie émergée de l'iceberg de la complexité belge. La Belgique est un pays de fous mais où, malgré tout, il fait bon vivre, notamment pour les Français, qu'ils soient "fortunés" ... ou non.
NB: Dans les zones de travaux routiers, il existe également des panneaux signalant "AFRIT", mais il ne s'agit pas de baraques à frites.
Par Philippe Rateau
Speciaal briefschijver voor Broederschap in België
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