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Il y a 80 ans à Saint-Joseph

 

 

A la rentrée des classes en octobre 1943 , ce sont 3 frères, Jean depuis 1941, Georges en 1942 et Ivan qui  franchissent la porte du 90  de la rue de Bayeux comme pensionnaires de Saint Jo.

En effet depuis 1939 les locaux du 30 de  la rue des Rosiers sont réquisitionnés , occupés d’ abord par l’armée française pour y accueillir un hôpital  et en  1940  c’est l’armée allemande qui utilise les bâtiments pour un même usage (hum !!!) avec des murs qu’ils peignent en vert de gris et une immense croix rouge sur le toit. Aussi l’Institution a trouvé en urgence un repli vers Saint Vincent de Paul essentiellement.

 

En troisième, ma classe se situe rue de Bretagne. Les autres classes vont être outre au «  90 »  , rue de Bretagne et au dessus de la gare Saint Martin . Tous se retrouvent au 90 pour les repas . Quant aux dortoirs ils seront essentiellement rue Caponnière  au dessus de l’ entrée et dans la salle des fêtes au fond du bon Sauveur . C’ est là que nous nous retrouvons tous  les jours . 6h30 :les lumières s’ allument et le « Père Leconte » ( Isidore) frappe fortement dans ses mains. Il n’ est pas question de trainer sous peine d’ écoper d’une punition ! Vite , nous allons faire quelques ablutions dans une cuvette remplie d’ eau la veille , alignée avec toutes les autres ( une cinquantaine ) sur une longue table placée sur l’ estrade . L’ eau est souvent bien froide et parfois recouverte d’  une pellicule de glace : bonne occasion pour réduire le temps de la toilette ! Ce moment permettait aussi d’ évoquer la température extérieure car il n’ y avait pas de plafond à ce dortoir . Vite nous nous glissions dans nos vêtements , nous faisions notre lit , ….et rien ne devait dépasser ni du lit ,ni de la table de nuit ni , a fortiori  , de notre armoire à linge , car nous nous exposions à retrouver tout sur le sol !

 

7h-7h10: c’était le moment de partir en rangs vers la rue de Bayeux, quel que soit le temps et les jours de pluie n’ étaient guère appréciés. Au coin de la rue de Bretagne, « Isidore » disparaissait souvent. Monsieur Laforêt prenait le relais.

 

7h30: il fallait être à la chapelle de Saint Vincent , rue de Bayeux , où tous les internes se retrouvaient ,( tous à jeun et certains estomacs le supportaient mal) pour entendre la Messe  tous les matins ; nous répondions , plus ou moins endormis ,aux prières de l’ Abbé François Louvel , aumônier de l’ Institution , le Directeur Frère Le Gall essayant  de réveiller les assistants en entonnant  le chant d’ un ou plusieurs cantiques .

 

8h00: vite en rang souvent en silence, nous traversions la rue de Bayeux pour rejoindre le «90». C’était le moment délicieux du petit déjeuner. Dans sa boite cadenassée chacun avait des trésors apportés par les parents: beurre, gâteaux voire confiture que nous partagions quelquefois avec un bon copain.

 

Dès 8h30, il nous fallait rejoindre en silence les classes avec les externes et les demi-pensionnaires et commencer la journée scolaire comme d’ailleurs chaque cours, par une prière.

Les cours variaient bien sûr selon l’emploi du temps hebdomadaire toujours dans le même local.

 

A 10h , récréation de 15 minutes puis classe jusqu'à 11h45. 

 

Tous les internes et demi-pensionnaires se retrouvaient pour le repas du midi sous le regard attentif de «Prosper», économe à la barbe fleurie, coiffé aussi d’un chapeau melon… mais bien crasseux.

Après le «Benedicite», le repas débutait par la lecture de la vie du Saint du jour et selon l’humeur de Mr Le Gall, ce repas pouvait se dérouler entièrement dans le silence. Le menu n’était pas toujours apprécié car il y avait même dans notre Normandie une certaine pénurie encore aggravée depuis ces derniers temps par les réquisitions allemandes devenues très importantes. Aussi le repas devenait parfois chiche en quantité.

Malgré cela je me souviens d’un certain «riz au gras», que nous dissimulions consciencieusement dans notre gobelet.

Il n’ était pas question à l’ époque de ne pas finir  son assiette !) et il y avait ensuite la course aux toilettes pour se débarrasser de ce mets peu apprécié.

 

Suivait une grande récréation jusqu‘à 13h30. Les cours reprenaient jusqu‘à 15h15 avec alors l’intermède des «gâteaux vitaminés» et de nouveau classe jusqu‘à 17h .

 

Les externes et les demi-pensionnaires avaient la chance de rentrer en famille et nous les internes nous nous retrouvions entre nous, d’abord en récréation puis en étude de 17h30 à 19h.

Le diner du soir n’était pas plus copieux et meilleur que le midi. Une récréation précédait le départ à 20h pour le dortoir avec extinction des feux à 21h et sous les veilleuses.

Il y avait souvent un ou deux punis qui attendaient le bon vouloir d'«Isidore» pour aller dormir.

Je ne voudrai pas m’étendre sur les différents professeurs que nous avons eu la chance d’avoir : tous mettaient leur savoir, leurs compétences et leur cœur pour faire entrer de gré …ou de force dans nos crânes ce qu’ils pensaient que nous devions retenir et leur enseignement était imprégné de l’esprit chrétien, de l’esprit de Saint Jo .

Un certain nombre de ces enseignants nous ont quitté en 1943 pour le S.T.O. (service de travail obligatoire en Allemagne). Tous méritent notre respect, notre reconnaissance mais il est certain que tel ou tel ont gardé une place privilégiée dans notre coeur.

 

Le jeudi, nous avions classe le matin et l’après midi nous allions en promenade (certains allaient faire un match de football ou de basket, voire d’athlétisme mais ils ne représentaient qu’une minorité). Nous attendions avec curiosité qui allait diriger cette promenade  Monsieur  Marcel Allaire ? Monsieur Ernest Besselièvre ? Cela allait être très strict, plutôt monotone, sans arrêt ni surprise, si ce n’est la rencontre comme par hasard sur le chemin de Mr Le Gall ou du frère Morel sur sa bicyclette ou encore Mr Célestin , le trésorier lui aussi à bicyclette mais plus digne.

Il fallait que Saint Joseph garde sa réputation de bonne tenue. Lorsque Monsieur Robert Jumez  conduisait la promenade c’était l’assurance d’un après midi plein de détente aux «sapinettes» ou dans un champ sur la route de Courseulles où nous nous dépensions en jeux divers, plus débridés les uns que les autres… mais l’ état des chaussures après cela !!!

Le samedi nous avions cours toute la journée. En fin de matinée, il y avait la «cérémonie» des notes traduites par des billets de couleurs différentes. Les résultats avec les commentaires étaient donnés par Monsieur Le Gall, parfois Monsieur Morel. Lorsque le billet était rose ou blanc, c’était la joie avec la possibilité de sortie.

Le jaune: nous restions au pensionnat. Quant au vert, couleur de l’espérance, outre l’impossibilité de sortir une «colle» le jeudi et le dimanche .

 

Les sorties étaient attendues avec impatience par les internes car , une fois par mois , elles nous permettaient de rejoindre  notre famille du samedi soir au dimanche soir ou au lundi matin…avant 8h30. Mais certains d’entre nous habitaient loin et avec des moyens de communication qui n’étaient pas ceux d’aujourd’hui  , ils ne pouvaient envisager ces sorties qu’aux vacances et parfois seulement une fois par trimestre.

Bien sûr il nous arrivait parfois de chercher quelques échappatoires à la classe (ce qui  ne fut sans doute pas particulier à l’Occupation) et dans ce domaine il y avait différentes possibilités de s’absenter quelques instants : les confessions qui pour certains étaient vraiment fréquentes ! le coiffeur qui permettait d’aller retrouver Monsieur Chabot . Il y avait les adeptes de la musique avec Monsieur Friley ;  il y avait enfin les responsables  du poêle au charbon.

 

Les fêtes étaient peu nombreuses, c’est dire si elles étaient préparées avec plus d’enthousiasme ! Bien sûr il y avait la «Saint Joseph», un peu la "Saint Yves" en l’ honneur du directeur, surtout les communions solennelles à Saint Etienne. A ce propos je ne vous ai pas  relaté nos dimanches ordinaires qui, outre l’ assistance à la Messe, donnaient droit aussi aux Vêpres et aux Complies avant de partir en promenade.

 

Cette dernière année 1944 fut beaucoup plus perturbée. Le Frère Morel est nommé directeur de Lycée Saint Jean  Baptiste de Rouen, laissant seul le Frère Le Gall. L’occupation allemande est de plus en plus mal supportée   avec des attentats. L’aviation alliée était beaucoup plus présente, annoncée par  les sirènes qui invitaient les Caennais à se réfugier dans des abris, souvent précaires et pour nous, nous restions en classe, voire descendions dans la cour de récréation. Surtout, ils passaient en altitude pour aller bombarder les villes allemandes, passages marqués par des tirs de  la DCA (défense anti aérienne), proche de notre dortoir où parfois des éclats traversaient le toit et une fois ont encadré le lit d’un camarade.

Hélas parfois le but de cette aviation était Caen et sa gare et les nombreux habitants tués ou blessés et les logements détruits. Les évènements vont en s’amplifiant avec le printemps et des rumeurs enflent sur la possibilité d’un débarquement : Nord ou Normandie?

Nos parents ayant des contacts avec la Résistance nous retirent de Saint Jo les derniers jours de mai si bien que je n’ai pas connu Saint Jo le 6 juin. C ’est sous la plume du Frère Aubry (Henri Cloarec) que les faits ont été rapportés : 6 juin à l’aube quel émoi ! Après un passage rapide à la chapelle puis au réfectoire, organisation du départ des internes que l’on jugeait pouvoir regagner leur domicile. Que faire de la trentaine qui reste ! Vite on décide de gagner à pied, avec quelques bagages et provisions ,le château d’Eterville puis Feuguerolles où Monsieur le Directeur vient nous rejoindre et partager par 3 fois notre campement. Bientôt on doit se réfugier pour de longs jours  dans la mine de Billy, puis plus tard à  Ouilly le Basset où nous avons eu enfin la joie de passer les lignes après avoir échappé vingt fois à la mort.

 

Quelques élèves peuvent enfin rejoindre leur famille avec 2 mois et demi de retard, tandis que les autres avec les trois Frères  regagnent le pensionnat rue de Bayeux où le Directeur et l’économe ont tenu le coup sous les bombardements et les obus. La maison  à longueur de jours et de nuits reçoit des sinistrés qui viennent  implorer gite et couvert. Si les élèves internes sont préservés nous avons à déplorer la mort d’un professeur, du jardinier et de 13 élèves externes.

 

La rentrée 44 se révèle encore plus catastrophique. Le 30 rue des Rosiers reste réquisitionné,   occupé par des services publics . Le Quartier Saint Martin doit se replier sur Saint Vincent de Paul et l’internat du Bon Sauveur est supprimé.

Dans ces dures conditions, le Pensionnat compte encore 550 élèves à la rentrée en novembre et les parents doivent trouver des connaissances pour nous accueillir la nuit, pour  cette année en  seconde mais  que ce sera  pénible !! 

Voici ce que fut pour moi ces tristes années d’ occupation avec bien des oublis et erreurs que je vous prie de m’ excuser.

 

Par Jean Lambertz

Président de l’amicale de 1978 à 2015

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