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Chroniques de mes vertes années (1954-1966): chapitre 1

Préambule

Durant les années 2000, le rédacteur de "Liaison Saint-Jo", Jean Lambertz, avait mis l'accent sur une meilleure participation des anciens ayant fréquenté le collège entre 1950 et 1960 pour l'Assemblée d'octobre 2001 et entre 1960 et 1970 pour celle d'octobre 2002. Cette dernière devait être aussi l'occasion d'honorer tout particulièrement deux personnalités marquantes de cette période : Roger Pérussel et René Dorwling-Carter (ex Frère René). 

Bien qu'habitant la Belgique depuis plus de trente ans, j'ai estimé que je me devais de faire l'effort de venir pour participer à cet hommage particulier. Je pensais naïvement que cette heureuse initiative mobiliserait un grand nombre d'anciens de cette période. J'ai quelque peu déchanté en constatant que nous n'étions qu'une grosse dizaine, dont certains sont de fidèles habitués de ce rassemblement annuel.

A mon époque, l'Institution comptait de 700 à 800 élèves, avec souvent deux classes de 45 élèves par niveau en secondaire. Rares étaient les élèves qui y accomplissaient leurs 12 ans de scolarité. Certains partaient en fin de primaire, d'autres arrivaient en début de secondaire, partant après le brevet ou poursuivant jusqu'au Bac. Ce va et vient et le renouvellement par année porte certainement l'effectif potentiel de cette décennie 1960-70 à plus de 2000 anciens. Que sont-ils devenus ?

 

Dans son rapport moral, notre cher président, Jean Lambertz, a fait état de ses difficultés à "garnir" les pages de chaque bulletin dont il a, souvent seul, la charge. Il a lancé un vibrant appel aux présents, et pourquoi pas aux absents, pour l'aider dans sa tâche en lui transmettant différents textes pour étoffer notre revue.

Lors du banquet qui a suivi, en bavardant avec les quelques contemporains qui ont eu la bonne idée de venir, j'ai constaté que ma mémoire était encore vive concernant cette période déjà lointaine de ma vie. J'ai donc imaginé qu'il était peut-être temps de rédiger mes "mémoires d'écolier" et d'en proposer la publication dans le bulletin des anciens, un devoir de mémoire en quelque sorte.

 

Pendant de nombreuses années Roger Pérussel a été l'âme et la cheville ouvrière de cette publication. Il y a publié nombre de chroniques ("Si Saint-Jo m'était conté") et autres anecdotes amusantes qui ont fait la joie des lecteurs, quelle que soit leur génération. Roger Pérussel est arrivé comme élève en 1934, après quelques années de professorat il a repris l'économat des mains de M. Célestin puis a terminé sa carrière comme Directeur administratif jusqu'en 1977. Cette longue présence a alimenté sa mémoire pour notre plus grand plaisir.

 

Contrairement à lui, ma longévité n'a été que de 12 ans et je n'ai pas accès à des archives précises et détaillées. Aussi mon propos n'aura certainement pas la précision historique qu'avait le sien. Malgré tout j'essaierai modestement de me montrer son digne successeur. Qu'il me pardonne mes erreurs et mes imprécisions. N'ayant comme seul outil que ma mémoire, je n'ai pas la prétention d'exposer une suite chronologique rigoureuse des événements que j'ai vécus. Je me contenterai d'aborder les différentes facettes de la vie du collège pendant cette période, en m'attardant sur des lieux, des personnages ou des événements marquants.

 

Avant d'en terminer avec ce long préambule, j'aimerais rendre hommage à tous les professeurs qui pendant cette longue scolarité m'ont supporté (dans tous les sens du terme !) et m'ont transmis une partie de leur savoir et surtout leur "savoir faire" et leur "savoir être". La plupart ne sont plus et certains doivent se "retourner dans leur tombe" à l'idée que je puisse me prétendre "écrivain". Il est vrai qu'à l'époque l'exercice de rédaction n'était pas ma tasse de thé. Qu'ils se rassurent, avec la maturité les "petites graines" qu'ils ont semées ont fini par germer. Le terreau n'était pas aussi stérile qu'ils pouvaient le craindre.

 

Pour éviter la "langue de bois" et pour donner plus de véracité à mon récit je me suis permis de citer les nombreux pseudonymes que les élèves utilisaient généralement pour désigner certains professeurs, certains frères, certains membres du personnel et certains élèves. Mon intention n'étant nullement irrévérencieuse, j'ose espérer que les intéressés, ou leurs descendants, n'en prendront pas ombrage.

 

Enfin ami lecteur, si ces lignes t'inspirent quelques réminiscences ou si tu constates des erreurs ou des imprécisions, je serais plus qu'heureux que tu m'en fasses part. Ce serait une bonne façon de renouer des liens depuis longtemps rompus. A plusieurs nous serons plus efficaces pour relater notre jeunesse en ces vénérables murs. 

 

Philippe RATEAU


 

 

Chapitre 1 : Le primaire

En 1954, à peine âgé de six ans, je suis arrivé à Saint-Jo en 10ème (aujourd'hui CE1), classe de Mlle Lepetit, qui effectuait un remplacement. 

 

Je n'ai donc pas eu l'occasion de profiter de l'enseignement de Mme Raux, avec son beau col de renard, ni de celui de Mlle Pavart, qui, à elles deux, encadraient les galopins de 11e (CP) et 12e(3e Mat). 

 

Cette entrée dans ce grand établissement, où mon père, Jean Rateau, avait usé ses fonds de culotte avant moi, n'a pas manqué d'impressionner le petit gamin que j'étais. Les bâtiments austères, construits fin XIXe dans ce style propre aux casernes, hôpitaux et internats, portaient encore les restes des camouflages noirâtres dont les Allemands les avaient affublés pendant l'occupation. Tout me paraissait immense : les bâtiments, les classes hautes de plafond avec leur pilier central, la cour, les escaliers intérieurs en bois et même les élèves des classes supérieures. J'ai mis quelques temps à me sentir à l'aise dans cette cour de récréation où se côtoyaient tant d'élèves de 5 à 18 ans.

A cette époque, dans ce genre d'institution, régnait une certaine discipline, pour ne pas dire une discipline certaine, où les châtiments corporels n'étaient pas rares. Heureusement pour la division des petits, le Frère Bernard avait pour nous une attitude bienveillante, voire paternelle. Il n'empêche que j'ai gardé le souvenir cuisant de quelques épisodes qui aujourd'hui conduiraient directement leurs auteurs en correctionnelle. 

 

Nos deux premiers professeurs étant des femmes, Mlle Lepetit en 10e et Mme Polin en 9e, nous avons certainement bénéficié d'un régime transitoire à connotation "maternelle" avant d'affronter la dure réalité "virile" qui nous attendait.

 

En 8e, notre instituteur, M. Bouvier, avait pour punition favorite d'envoyer un élève turbulent s'agenouiller dans un coin au pied de l'estrade. Il lui arrivait même de corser la punition en obligeant l'élève à s'agenouiller sur une règle. Mon ami Michel Libois, plus connu sous le pseudonyme de "Coco" (diminutif de "cosaque" en raison d'une ridicule toque de fourrure que sa mère l'obligeait à porter) avait déjà des prédispositions à montrer son caractère cabochard. M. Bouvier s'en prenait régulièrement à lui. La mauvaise volonté et la fatigue aidant, Libois finissait immanquablement par s'asseoir sur ses talons. Sitôt qu'il s'en apercevait, M. Bouvier saisissait une grande règle en bois et en assenait un coup sur le dos de l'élève rebelle afin qu'il reprenne illico la position réglementaire du "puni à genoux". Un jour, Michel Libois, particulièrement résistant au coup de règle, n'a pas daigné reprendre la position ad hoc et de rage M. Bouvier lui a cassé la règle sur la tête. Le puni rétif n'a pas bronché, démontrant par-là qu'il avait vraiment la "tête dure". Si nous avions été plus âgés et plus audacieux nous aurions pu nous exclamer : "Monsieur Bouvier nous ne sommes pas des bœufs !". Mon ami a continué sa scolarité jusqu'au Bac. Il semble donc que ses neurones n'aient pas été atteints. 

 

L'effectif s'étoffant, nous avons été séparés en deux classes de 7e dirigées de mains de maîtres par M. et Mme Lebris. Dans la classe de ce dernier nous avons eu droit à un régime sévère mais juste et à un enseignement efficace. Par contre les poils de mes tempes gardent encore le souvenir douloureux des pincettes qu'il nous infligeait quand il voulait nous réprimander.

 

Ces années de primaire étaient rythmées par la distribution régulière de "billets", reprenant les notes de la période, dont la couleur indiquait directement aux parents l'appréciation délivrée par nos maîtres. Les meilleurs recevaient un billet rose, correspondant à la mention Très Bien et dans les petites classes l'élite avait même l'honneur d'arborer une "Croix d'honneur". Puis venait, le billet blanc pour la mention Bien, le vert pour passable et, suprême vexation, le billet jaune. Le seul que j'ai rapporté a entraîné illico une sévère réprimande et quelques privations.

 

 

Pendant ma petite enfance à St. Jo, je me suis retrouvé sous la surveillance particulière d'un personnage incontournable de l'Institution : le Frère Yves Le Gall (Cyprien-Eloi en religion). Pour ceux qui s'en souviennent, il portait sur la tête une petite calotte noire qui me faisait irrésistiblement penser à une boîte à fromage. Qu'il me pardonne cette impertinence ! 

Bien qu'ayant quitté sa fonction officielle de Directeur depuis plusieurs années, ce "vénérable retraité" vivait dans nos murs. L'œil du maître était encore vif et rien ne semblait lui échapper. Avec le recul du temps, je soupçonne que ce fier breton n'avait pas vraiment accepté l'idée de "décrocher". Le Frère Morel, Directeur en titre, devait certainement passer son temps à composer avec cette forte personnalité.

 

Mon père, ayant eu M. Le Gall comme Directeur dans les années 30 (à l'époque il portait un chapeau melon), n'avait pas manqué de me le décrire comme un personnage rigide et sévère. Combien de fois n'a-t-il pas puni mon père en lui imposant de répondre la messe quotidienne les bras en croix ! J'étais donc d'emblée impressionné, voire terrorisé, à l'idée de le rencontrer. Mais j'ai rapidement compris qu'il s'intéressait à moi en souvenir de mon père et qu'heureusement son âge canonique avait arrondi les angles du granit dans lequel il était taillé. Malgré tout je gardais une certaine appréhension à emprunter le grand escalier qui menait à l'infirmerie et desservait aussi les logements des frères, car immanquablement je tombais sur le Frère Le Gall qui s'empressait de me sonder sur mes performances scolaires. Son plus grand désespoir était mon évident manque de talent en dessin. Il me reprochait sans cesse de ne pas tenir de mon père. Heureusement depuis j'ai fait quelques progrès. Quand je faisais semblant de ne pas l'avoir vu, il m'apostrophait d'un vigoureux "Hep ! Psst !" auquel je ne pouvais me dérober.

 

Finalement, si à mes yeux d'enfant les professeurs et les Frères m'apparaissaient comme des substituts paternels plus ou moins sévères, M. Le Gall semblait tenir le rôle d'un grand-père indulgent, ayant toujours un œil sur sa progéniture de substitution.

 

Un autre "grand-père" a aussi marqué mes tendres années à St. Jo : M. Gillet, que nous appelions tous affectueusement par son prénom Victor. Il occupait la fonction de concierge et sa loge m'a souvent servi de refuge quand mon père tardait à venir me chercher après l'étude qui finissait pourtant à 19h ! Malgré sa fonction et la position stratégique de sa loge, Victor n'était pas le cerbère que l'on aurait pu craindre. Ce rôle était plutôt dévolu au Frère René qui surveillait les entrées et les sorties, notamment celles des cyclistes, avec la rigueur qu'on lui connaît. Ce partage d'autorité s'appliquait également au chien Pirate, véritable mascotte du collège qui défilait en tête lors des fêtes de gymnastique. Nous n'avons jamais vraiment su qui de Victor ou de René était le véritable maître de ce sympathique chien jaune, bâtard d'épagneul ou de setter.

 

Victor était empreint de bonhomie. Ses cheveux blancs, ses petites lunettes rondes et son grand tablier bleu le faisaient ressembler à Gepetto. Nul doute que pour lui nous étions tous des Pinocchio

Un des rôles clé de Victor était celui de carillonneur. Sur le mur de sa loge se trouvait une cloche qu'il faisait tinter selon un code précis pour avertir un Frère ou un autre responsable qu'il était attendu au parloir. Malgré mes efforts, je n'ai jamais réussi à percer ce mystérieux code. Une autre cloche se trouvait dans la cour de récréation au niveau de la coursive qui desservait les classes de 7e et 6e. Victor rythmait donc notre journée au collège en sonnant le début et la fin de chaque récréation. A cette époque les journées étaient longues. Début des cours à 8h, petite récréation à 10h, puis de 12 à 14h pour le déjeuner, à nouveau petite récréation à 16h avec distribution de la collation et les cours se terminaient à 18h. Certains externes restaient jusqu'à 19h avec les internes à l'étude surveillée par M. Leconte, professeur retraité. Ceci 4 jours par semaine plus le jeudi et le samedi matin. Nous étions bien loin de la semaine des 35 heures !

 

Mais pour nous, Victor avait une tâche nettement plus attractive. Après avoir sonné le début des récréations, il s'éclipsait pour réapparaître par la porte battante, à l'angle des deux coursives, muni d'une grande boîte en bois, accrochée à son cou par une large lanière. Cette boîte magique contenait des trésors de friandises : roudoudous, ruban de réglisse, sachets de sucre sûr et autres sucreries que nous pouvions acquérir moyennant quelques menues monnaies. Encore fallait-il avoir de l'argent de poche, ce qui n'était pas fréquent à l'époque.

 

Le Frère Bernard ayant eu quelques problèmes de santé, il a été temporairement remplacé par le Frère Alban, dont le nez laissait à penser qu'il avait pratiqué la boxe. J'ai eu l'occasion de le retrouver au Rancher, à Téloché, lors d'une colo d'été. Au départ définitif du Frère Bernard, la division des petits fut confiée successivement aux Frères Albert puis Henri. 

 

 

 

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