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La médiation: un nouveau mode de résolution amiable des conflits ?

 

 

A l’occasion de la relecture du rapport d’activité de ma fille, ancienne élève de l’Institution Saint-Joseph de 2001 à 2013, présenté à l’issue de son master II en Droit des Assurances et en vue de sa soutenance de fin d’études, j’ai découvert la  médiation sous un nouvel angle, celui de la protection juridique. Marie a été accueillie en contrat d’apprentissage au sein de PACIFICA, compagnie d’assurance pour laquelle le service et la relation client sont primordiaux. La promotion de la médiation par l’assureur de protection juridique participe à cette démarche dans l’intérêt du client. Cette immersion dans un autre univers professionnel m’a permis d’aller encore plus loin dans mes réflexions.  Elles me sont utiles au quotidien. 

 

Qu’est-ce que la médiation ?

Je vais commencer par dire ce qu’elle n’est pas : la méditation. Souvent, comme lors de la journée des associations qui a lieu à Caen en septembre de chaque année (où l’amicale des anciens répond présente), il y a confusion entre ses deux pratiques à consonnances très proches, des personnes se présentant au stand de Choisir la Médiation en Normandie dont je suis membre pour s’inscrire à un cours de méditation ... Pour autant, médiation et méditation sont proches sur le fond. La méditation ne permet-elle pas d’apaiser un conflit intérieur ? …

 

La médiation peut être présentée comme un mode de résolution amiable des conflits. Il s’agit d’un processus par lequel les parties collaborent ensemble à la résolution du conflit qui les oppose, et ce, dans un cadre précis et avec l’aide d’un tiers indépendant et formé à cette pratique, garant du respect du cadre. La médiation est d’abord l’affaire des parties, engagement (chacun est libre à tout moment de s’y engager ou d’en sortir). Elle doit s’inscrire dans un cadre, confidentiel (ce qui se dit en médiation reste en médiation, sauf accord de déconfidentialité). Il se déroule sous la responsabilité d’un tiers, sécurisé (tiers indépendant formé à la médiation, présence des avocats pour assister leurs clients sur les questions juridiques). L’objectif est de permettre la résolution d’un conflit, accord (éventuellement sur les désaccords, mais le contenu peut être parfois moins essentiel que la démarche elle-même, une médiation peut aboutir à une absence d’accord concret ou écrit mais déboucher sur des actes utiles ou être suivie d’une réflexion bénéfique : renonciation à une action judiciaire, reprise du dialogue, exécution volontaire après un temps de réflexion etc…). 

 

Mais qu’est-ce qu’un conflit ?

Le conflit se distingue du simple différent « nous ne sommes pas d’accord » ou du litige « je n’ai pas la même interprétation que vous". Dans ces deux cas, le recours à un tiers, « appel à un ami », à un Expert ou au Juge peut être utile. Il est effectivement des cas où le recours à un magistrat, indépendant des parties, impartial et sachant, est nécessaire, notamment lorsqu’il s’agit de trancher une question de droit. La jurisprudence (ensemble des décisions de justice) est là pour faire appliquer la loi, l’interpréter voire la compléter quand celle-ci ne peut ni tout prévoir ni tout anticiper... et qu’il y a désaccord. Le constat actuel est un encombrement des tribunaux et la volonté politique de trouver des modes alternatifs à la Justice Institutionnelle, à l’instar des pratiques anglo-saxones où la place des parties et le rôle de leurs avocats sont prépondérants, pour tout ce qui ne relève pas d’une question de fait ou de pur droit, et que les parties ne parviennent pas à régler elles-mêmes. Le recours au Juge peut être un chemin couteux, long et éprouvant. La médiation se présente donc avant tout comme un mode de résolution d’un conflit, c’est-à-dire un différent ou un litige qui a dégénéré. Les parties ne peuvent plus se parler, la communication est rompue ou difficile. Mais l’apparent désaccord cache peut-être d’autres enjeux ? Un exemple frappant est celui en matière de divorce. Derrière le débat sur la fixation du montant de la pension alimentaire, les ex-conjoints « règlent leurs comptes » (dans tous les sens de l’expression), quand il ne s’agit pas de celle de la garde des enfants. L’intérêt commun, celui du bien-être de l’enfant, s’il peut paraître évident, ne doit pas être relégué au second plan par les divergences des parents. Si la Justice est le domaine du droit, la médiation est certainement celui des émotions, dont le conflit est souvent le point de rencontre. Il constitue le terrain de jeu des enjeux importants, des priorités de chacun et des attentes insatisfaites. Le conflit est en cela une forme de relation plus destructive que salutaire. Il suffit d’observer l’actualité internationnale … 

 

Pourquoi la relation a-t-elle dégénéré en conflit ?

La médiation ne fait pas l’économie de cette restrospective. Sans refaire l’histoire, elle incite à une relecture sous un angle différent, dont celui de l’autre. La médiation tend à établir une nouvelle forme de relation, et à tout le moins une communication fondée sur une écoute réciproque et un échange mutuel dans un cadre confidentiel, sécurisé et plus serein. La médiation aide à faire le tri entre les préjugés, les peurs, les attentes et les besoins de chacun. Accepter d’écouter vraiment la version de l’autre ne veut pas dire approbation. En médiation, le silence (écoute de l’autre) ne vaut pas acceptation.

 

La médiation va s’intéresser à l’origine du conflit, permettre aux intéressés, d’abord d’en prendre conscience chacun personnellement, d’exprimer ses émotions, son ressenti, ses besoins et ses attentes, puis d’accueillir le point de vue de l’autre, d’essayer de le comprendre et de l’accepter, non pas dans son bienfondé ni sa légitimité mais dans sa réalité, le tout dans la réciprocité. La médiation ne recherche pas principalement la vérité ni la justice mais s’intérresse à la réalité, au vécu et au ressenti de chacun. Il s’agit d’exprimer sa réalité et de s’ouvrir à la réalité de l’autre. L’autre n’est pas seulement « le méchant », celui qui n’a pas compris et ne peut comprendre ... au-delà des questions juridiques, matérielles, financières, la médiation interroge sur ce qui s’est passé avant, ce qui se cache derrière le voile, pour tourner sereinement la page et en écrire une nouvelle.

 

Les domaines dans lesquels la médiation est opportune sont divers : conflit de voisinage (mon voisin refuse de tailler sa haie qui empiète sur mon entrée de garage), rupture conjugale (mon « ex » ne respecte pas les horaires de la garde alternée), succession (tous les héritiers ne sont pas d’accord pour vendre la maison de famille suite au décès), mésentente entre les associés (situation de blocage qui met en péril la pérénité de l’entreprise), sous-traitance (un corps d’état bloque le chantier et risque de mettre en difficulté l’ensemble des entreprises) pour ne citer que quelques exemples. Tous les domaines où deux personnes sont directement ou indirectement concernées peuvent justifier une médiation, dès lors qu’il y a conflit, il y a matière à résolution

 

La médiation est un temps offert aux parties qui peut être hors ou dans le cadre judiciaire. Une médiation peut intervenir à tout moment. Avant, pendant ou après un procès, elle n’a pas de limite sauf celles que s’imposent les parties.  Elle peut être volontaire (d’un commun accord de leur propre initiative) ou proposée par un Juge, parfois imposée comme préalable obligatoire par la loi (dans certains cas et pour certains litiges) ou le contrat (clause de médiation) pour exemples. La participation personnelle et libre des parties est un élément essentiel au déroulement et au succès du processus. En médiation, même si le passé et l’avenir sont évoqués, la présence (dans les deux sens du terme, physique et temporelle) en est la clef. Si un rendez-vous d’information sur la médiation peut être imposé par la Loi ou un Juge, la médiation elle-même ne peut se dérouler qu’avec l’accord  volontaire, constant et éclairé de chacune des parties. Elles restent libres de l’accepter et d’y mettre fin  à tout moment. Aucune conséquence ne peut être tirée de l’absence de médiation, le médiateur s’il a été désigné par le Juge n’est tenu de l’informer que du déroulement effectif de la médiation, et en aucun cas du contenu ou du résultat (il est soumis au strict secret professionnel). Il n’y a donc aucun risque à accepter d’entrer en médiation, sauf peut-être celui de réussir ensemble plutôt que d’échouer séparément. 

 

Je ne peux pas parler de la médiation sans évoquer le résultat. La médiation ne vise pas un résultat précis. Son objectif principal est de donner aux parties les moyens de leur expression, leur faire prendre conscience de leur rôle dans la relation et d’une certaine manière de les faire passer de demandeurs à responsables de la solution. C’est redonner aux parties le pouvoir de choisir la solution la mieux adaptée à leur situation. Le résultat va au-delà des demandes initiales. Il peut dépasser l’objectif initial car il s’agit d’aboutir à un consentement mutuel. Cette décision est prise entre elles en commun, le médiateur n’étant en quelque sorte qu’un facilitateur de communication et le garant du cadre. Les avocats sont là aussi pour accompagner sur le plan juridique et sécuriser l’accord en droit. Le résultat est le fruit d’une collaboration constructive quel qu’en soit le contenu final. Entrer en médiation s’est avant tout prendre le risque de réussir. En médiation, il n’y a jamais d’échec, car il n’y a pas de « résultat », en tous cas, pas de résultat prédéterminé. La médiation est « l’arbre des possibles » (en référence au grand auteur Bernard Werber). Les parties, si elles le désirent, peuvent faire homologuer leur accord par le Juge dans les conditions qu’elles auront déterminées. Cela n’est pas obligatoire, souvent un bon accord est celui que les parties ont intérêt à produire, conclure, exécuter et respecter. L’écrit n’est pas indispensable dans de telles conditions. De perdant-perdant, elles ressortent gagant-gagnant. Même si elle n’aboutit pas à un résultat apparent, la médiation opére toujours un changement. Ce qui n’a pas abouti en médiation peut se révéler ultérieurement. Il arrive souvent qu’un accord soit conclu ultérieurement dans un autre contexte, le temps aussi ayant fait son œuvre.

 

La médiation est-elle un phénomène récent ?

S’il s’agit effectivement d’un « nouveau » mode de résolution des conflits dans sa présentation, il est en fait d’un processus très ancien. Il remonte peut-être « à la nuit des temps » ou en tous cas depuis que l’humanité s’est organisée en groupe ou en société. Elle existe de part le monde sous diverses forme. Un bon exemple est celui des « pallabres » en Afrique, forme de médiation collective soulignée par Monsieur Stephen Bensimon, directeur de l’IFOMENE à l’Institut Catholique de Paris, où j’ai suivi ma formation. En France, nous retrouvons des mentions dans des lois antérieures au code civil (1804), plusieurs réformes et dispositifs se sont succédés depuis. Le plus essentiel étant à mon sens la suspension des procédures pendant le temps de la médiation (trève de Dieu). Quelques lois récentes et surtout la volonté politique actuelle tendent à son développement, comme en témoigne la mise en œuvre de la Justice Restaurative (en matière pénale) au sujet de laquelle je vous conseille le très beau et touchant film récent : « Je verrai toujours vos visages ». 

 

Pourquoi choisir la médiation ?

Elle présente des avantages de simplicité (une fois le(s) médiateurs contactés, ils assurent la prise en charge et organisent le déroulement), de rapidité (les premiers entretiens et les réunions communes s’étalent sur une période d’environ un mois à trois mois), de faible coût (adapté à la situation de fait et économique des parties), de sécurité (liberté, formation des intervenants, confidentialité, accompagnement des avocats), de créativité (recherche de solutions adaptées  à chaque situation) et d’efficacité (gain de temps, économie financière, viabilité de l’accord).

 

Je ne peux manquer à mon devoir sans vous conseiller le livre « LIV » de Claire Vincent, une jeune auteure caennaise, disponible sur la plateforme de vente en ligne (dont je n’ai pas besoin de faire la publicité). Cet ouvrage m’a ouvert les yeux sur la pratique de la médiation. La médiation peut aussi être créative. Comme en tout, il faut parfois oser, mais je ne peux vous en dire plus, à chaque lecteur de se faire son idée. 

 

Je termine ce propos en reprenant la citation de ma fille lors de sa soutenance, plagiant Cambacéres lors de sa présentation du code à la convention du 23 fructidor an II : « La médiation (le droit de contracter dans le texte d’origine) n’est autre que la faculté de choisir les moyens de son bonheur », comme un souhait ou une invitation à ce « nouveau » mode alternatif en toutes circonstances.

 

Maître Sylvain Millet - Avocat

Président de l'amicale de 2015 à 2019

Élève de 1976 à 1985

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